Carburant durable pour l’aviation : bientôt la foire d’empoigne pour en avoir ?

Il ne se passe pas une semaine sans qu’une compagnie aérienne n’annonce un programme, un accord ou une initiative liés aux bio-carburants. Lesquels sont encore rares et chers. Et la demande sans cesse croissante pourrait bien propulser ses prix vers les sommets. Avec une autre menace à la clé : des fortes distortions de concurrence entre ceux qui l’adopteront un peu, beaucoup ou pas du tout…

On sait que les projets d’avions électriques ou hydrogènes doivent surmonter d’énormes contraintes techniques. Que l’hybride est une voie très prometteuse mais ne concerne aujourd’hui que des très petits aéronefs. Et la compensation carbonne n’a plus très bonne presse aujourd’hui, comme en témoigne la récente décision d’easyJet d’arrêter avec ce mécanisme jugé court-termiste. Pour de nombreux experts du secteur, la décarbonation du transport aérien doit désormais passer d’abord par les carburants durables.

Sur ces fuels “alternatifs”, toutes les grandes compagnies aériennes ont aujourd’hui des projets ambitieux. Cette semaine encore, Cathay Pacific et Korean Air ont annoncé qu’elles allaient investir dans les “Sustainable Aviation Fuel” (SAF). La compagnie de Hong Kong va acheter pour près de 145 millions de litres de SAF auprès d’Aemetis, et s’engage à utiliser 10% de ce carburant d’ici 2030. « Les SAF achetés permettront de réduire de plus de 80 000 tonnes les émissions de carbone, ce qui équivaut à la quantité de carbone que pourraient absorber plus de 1,3 million arbres pendant 10 ans« , a indiqué Cathay dans un communiqué.

Un accord a également été signé cette semaine par Korean Air avec Schell pour la fourniture et l’achat de SAF dans les principaux aéroports d’Asie-Pacifique et du Moyen-Orient à partir de 2026 et pour une durée de cinq ans. Brussels Airlines n’est bien sûr pas en reste, qui prévoit d’effectuer son premier vol en utilisant du carburant durable au plus tard l’an prochain. Et on rappellera que la compagnie a introduit cet été un tarif vert pour les passagers voyageant à partir du Danemark, de la Suède et de la Norvège, comprennant la compensation complète des émissions de CO2 avec du carburant durable (20%) et l’investissement dans des projets de protection du climat (80%).

Mais l’engouement autour du SAF est confronté à (au moins) trois éceuils majeurs. Celui de développer une filière encore embryonaire. Air France, par exemple, ne table que sur 1% de carburant durable dans les réservoirs de ses avions cette année, et 2% à l’horizon de 2025. Ensuite l’impératif de privilégier des SAF de 2ème génération (*) qui succédent aux biocarburants actuels, n’entrent plus en concurrence avec la production alimentaire, ne sont pas dérivés de l’huile de palme et ne contribuent pas à la déforestation.

Autre problème, le prix. Ce carburant vert coûte quatre fois plus cher que le kérosène fossile aujourd’hui. Sa production de masse pourrait faire baisser les prix. Mais les besoins sont immenses : selon certains scientifiques, il faudrait l’équivalent de la production agricole mondiale pour répondre aux besoins du transport aérien en 2030. Et l’aviation commerciale pourrait vite voir poindre une demande nouvelle pour le SAF, celle de l’aviation privée. Laquelle pourrait se voir imposé l’usage du carburant vert, et le vivre pas trop mal car une partie de ses clients sont prêts à payer plus et s’offriraient en prime un brevet de sobriété.

Comme tous les besoins seront loin d’être satisfaits dans quinze ou vingt ans, on peut penser qu’une concurrence exacerbée pour avoir du carburant vert va au contraire faire monter fortement les prix. Une grande compagnie aérienne européenne confiait une autre crainte récemment, celle d’être confrontée à une forte distortion de concurrence avec les transporteurs extra-européens non soumis aux mêmes contraintes.

L’Europe, après deux ans de négociation, a en effet bouclé en juin dernier le projet « ReFuelEU Aviation » avec des objectifs précis : les fournisseurs de carburant d’aviation, au départ de tous les aéroports européens de plus d’un million de passagers, devront incorporer au jetfuel un minimum de 2% de carburants durables à partir de début 2025, 5% début 2030 (dont 0,7% de carburant de synthèse), 20% en 2035 (dont 5% de carburants de synthèse), 32% en 2040, 38 % en 2045 et 63% en 2050 (dont 28% de carburants de synthèse). Des taux que le Parlement européen préconise de relever à 6% en 2030, 37% en 2040 et 85% en 2050. Pour l’instant, les compagnies extra-européennes ne sont pas soumises à de telles obligations. Brussels Airlines peut-elle se retrouver ainsi désavantagée sur de nombreuses destinations par rapport à une compagnie du Golfe, si celle-ci n’a pas à intégrer une quantité de SAF aussi importante dans son jetfuel ? Un gros travail d’harmonisation doit encore être réalisé au niveau mondial. Encore faut-il que tout le monde y trouve son compte. La température pourrait bien monter encore d’un cran dans le transport aérien…

(*) Les SAF de deuxième génération sont principalement issus de résidus agricoles et sylvicoles, d’algues, de biomasse, d’huile de cuisson usagée, de carbone recyclable, ainsi que de carburants de synthèse (produits à base d’hydrogène et de capture de CO2).

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