Le tourisme source de tous les maux ? Stop au travel bashing !

Sur les questions sociales et environnementales, le tourisme est souvent présenté comme source de problèmes. Rarement comme apporteur de solutions. Question : le voyage est-il soluble dans le CO2 ? Elements de réponse.

Certains activistes écologistes souhaiteraient purement et simplement voir disparaitre le tourisme, d’autant qu’il exclut une partie de la population, la moins fortunée. Au préalable, essayons tout de même de situer les forces en présence. Très schématiquement, “10% des gens penchent vers la sobriété, voire l’activisme écologique ; 20% s’en foutent et 70% sont sensibles au problème”, estimait Jean-Pierre Nadir, le fondateur de FairMoove, la semaine dernière à Paris, lors de l’officialisation d’un partenariat de son entreprise avec l’agence événementielle WHM Project visant à favoriser l’organisation de voyages incentives responsables. L’occasion, pour le patron de ce spécialiste des réservations de voyages et hébergements responsables et éthiques, de fixer certains enjeux du tourisme en matière de décarbonation, dont nous avons repris des éléments dans cet article.

Jean-Pierre Nadir © Pierre Olivier

L’immense majorité de nos concitoyens veulent toujours voyager, mais nombre d’entre eux pas n’importe où et surtout pas n’importe comment. Le rouge de la colère peut même alterner avec le vert de l’indignation quand ils apprennent que des “éco-resorts” de luxe flanqués de golfs sont en cours de construction dans des zones protégées (et même Natura 2000…), sur la côte de l’Alentejo, au sud de Lisbonne. Bref, sur ces questions, la nuance s’impose. Car c’est vrai aussi que le tourisme peut être un fléau, contribuer à dégrader la biodiversité, à altérer les rapports humains, à détruire des écosystèmes…

Passons vite sur le voyage source de rapprochement des peuples, ainsi que sur l’enrichissement personnel qu’il apporte aux voyageurs, réel dans bien des cas mais très relatif quand on séjourne dans un club de vacances, même situé dans une destination exotique.

Parlons d’abord des pays de destination. Le tourisme compte pour 10% du PIB mondial, pour 17% de celui du Portugal, 20% de ceux de la Thaïlande et de la Grèce, 37% de ceux des Canaries et du Cap Vert, 53% de celui des Maldives et 60% de celui de Sainte-Lucie…

Il génère un cinquième des emplois (directs et indirects) de la planète. Pour les populations de nombreux pays, il est bien souvent source de dignité humaine, leur permet de nourrir leur famille, de s’élever socialement. Une réalité tout de même : la moitié de la population mondiale vit au jour le jour, deux milliards de personnes avec pas plus de 2 dollars par jour. Comment s’étonner dès lors de leur faible intérêt pour  les questions environnementales. Comment dès lors réconcilier économie et environnement ? Comment changer les comportements afin que ceux qui détruisent pour survivre prennent le parti de protéger. De braconnier à ranger, le chemin peut parfois être rapide.

Faut-il choisir sa destination selon son bilan carbone ?
Certains pays jouent parfaitement la carte du tourisme vert. Et personne ne s’étonne plus aujourd’hui des succès touristiques du Costa Rica et de l’Islande. Ces pays le prouvent : un modèle vertueux tire tout le monde vers le haut. Mais il faut d’abord partir d’un constat qui n’est pas spécialement à l’avantage des pays précédemment cités : le bilan carbone monte en flêche quand on se rend sur son lieu de vacances en avion.

L’autre point important est le mix énergétique du pays de destination. Comment ce dernier produit-il l’énergie que les voyageurs consommeront sur place ? Ainsi, le Costa Rica est le plus vertueux car très en avance sur les énergies de transition, quand l’Afrique du Sud est pointée du doigt pour ses centrales au fuel et au charbon. Pour la plupart des pays, il est vrai que le nucléaire est trop cher ou trop dangereux. Et l’éolien comme le solaire rencontrent aussi des oppositions. En France, où l’électricité est majoritairement nucléaire, une nuitée hôtelière correspond ainsi à 10 kg de rejet de CO2, contre 150 kg à Dubaï.

source greenwiew.sg

Comment faire évoluer le tourisme ?
La plupart des touristes visitent les mêmes endroits, et ce bien souvent en même temps faute d’étalement des périodes de vacances. L’une des solutions, sur ces lieux très visités, est dès lors de gérer les flux, notamment par le biais des réservations au préalable. Dans certains pays, il faut passer d’un tourisme de prédation à un tourisme de redistribution. C’est aussi dans l’intérêt du tourisme de protéger l’environnement. Plutôt que bouleverser la vie des dauphins ou des requins (exemple du “shark feeding) par une présence à leur côté sous l’eau, pourquoi de pas privilégier des bateaux à fonds de verre électrique pour mieux les observer sans les perturber ? Pourquoi ne pas visiter une ferme à éléphant plutôt que de se promener sur le dos de pachidermes réduits à la soumission des humains par la violence ? Dans le cadre des safaris en 4X4, pourquoi ne pas trouver des mécanismes pour inciter au rétrofit afin de les transformer en véhicules électriques, d’autant que l’investissement est amorti en deux ans ?

La décarbonation c’est aussi l’hébergement…
Pour l’hôtel, l’engagement écologique passe par une consommation d’énergie propre, le traitement des eaux usées, le zero plastic… Certains pays d’Europe du Nord – qui sont, il est vrai, les plus riches et en avance en matière de décarbonation – réinventent l’offre hôtelière. En Finlande par exemple, le nouveau Arctic Blue Resort est un éco-hôtel haut de gamme où le prix est déterminé en fonction de l’empreinte carbone du voyageur, une manière également de faire de la pédagogie sur les bons comportements. En Norvège, le Six Senses Svart Hotel, qui doit ouvrir en 2024, sera le premier hôtel «hors réseau» et à énergie positive au monde.

L’alimentation au coeur des enjeux pour les hébergeurs
En matière de restauration, limiter les importations joue en faveur du tourisme. Lorsque les hôtels font l’effort de promouvoir des produits locaux, cela favorise l’écosystème économique du territoire. La permaculture, par exemple, offre d’excellents rendements à l’hectare et permet de générer beaucoup d’emplois. Dans un hôtel à l’île Maurice, ne peut-on se passer d’oranges pressées au petit déjeuner, sachant qu’elles viennent du Maroc ? Les hôteliers ont aussi la mission de réinventer certaines habitudes de consommation. Et la logique d’abondance, comme on peut l’observer avec les buffets des clubs de vacances, n’est probablement plus adaptée à l’époque

Faut-il encore prendre l’avion ?
L’avion pollue ! Il compte, selon les calculs, pour 2,8 à 4,5% de l’empreinte carbone au niveau mondial, moins toutefois moins que le digital (6%) et le textile (8%). Et le transport aérien est engagé dans un fort mouvement de décarbonation. Au regard de l’urgence climatique, les compagnies soulignent à juste titre leurs efforts pour moderniser leurs flottes. Les avions récents – par exemple la nouvelle famille A320neo – sont plus légers et consomment jusqu’à 25% de kérosène en moins que les avions de la précédente génération. L’écopilotage permet aussi un gain moyen de 3% de consommation de carburant, et donc des émissions de CO₂. Et des nouvelles solutions technologiques ne cessent chaque jour de modifier les prévisons en matière de décarbonation. Ainsi, le motoriste Safran a annoncé récemment travailler pour 2035 sur un moteur du futur dit “ultra-frugal” qui permettra de réduire de 20% la consommation par rapport aux moteurs proposés aujourd’hui.

Photo Institut Montaigne

Airbus prévoit de lancer ses premiers appareils (régionaux) à hydrogène pour 2035. Les petits avions électriques sont déjà une réalité. Le SAF (Sustainable Air Fuel) devrait, lui, compter pour 65% de la réduction du bilan carbone de l’aviation civile en 2050. Mais sa montée en puissance va être très progressive. Et pour produire en masse ce biofuel, il faut toutefois créer des filières pour les résidus agricoles et sylvicoles, pour les algues, la biomasse, l’huile de cuisson usagée, le carbone recyclable, les carburants de synthèse (produits à base d’hydrogène vert et de capture de CO2)…

Faut-il adapter ses comportements et moins prendre l’avion ?
Le trafic aérien devrait continuer à croitre fortement dans les prochaines années, porté notamment par les croissances des pays du Sud où les populations accèdent à des niveaux de vie plus élevés et aspirent à voyager. Les voyageurs des pays riches, eux, devront être plus sobres et moins recourir à l’avion. Jean-Marc Jancovici, volontiers provocateur lorsqu’il s’agit d’ interpeler sur le réchauffement climatique, invite même à limiter à quatre le nombre de vols autorisés dans une vie…. Petit rappel à l’adresse du brillant ingénieur : les passagers des avions sont loin de tous voyager pour leurs loisirs. Un tiers d’entre eux sont des passagers “affinitaires” visitant leurs familles. Et beaucoup de voyages d’affaires ne peuvent être remplacés par des zooms et autres teams. Un mot enfin sur les jets privés : ils se sont invités ces derniers mois dans le débat politique… vite devenu idéologique ! Ne pourrait-on pas imposer à l’aviation d’affaires de voler avec un fort pourcentage de bio-carburants, ce qui aiderait en même temps au développement plus rapide de la filière ?

Source Kayak

Chacun doit donc essayer, dans la mesure de ses moyens, d’effectuer moins de vols long-courrier, de loin les plus polluants, surtout lorsqu’ils sont effectués en classe affaires.

Un autre point important est d’éviter des vols avec transit. Cela permet de diminuer de 15% les émissions de CO2 de son déplacement. Pas évident depuis que les grandes compagnies aériennes se sont structurées autour de grands hubs. Et que les transporteurs du Golfe ont même construit leur modèle uniquement autour de leurs plateformes de correspondances.

La compensation encore en débat
Les arbres captent le CO2, freinent la désertification et contribuent à faire baisser les températures : il fait 10° plus chaud à Haïti qu’en République dominicaine, se partageant pourtant la même île… Les résultats sont au rendez-vous si l’on sait faire preuve de patience. La compensation ne fait pourtant pas l’unanimité. La compagnie easyjet a ainsi stoppé son programme, trouvant qu’il suscitait trop d’interrogations dans ses modes de calcul, et se concentre désormais sur la réduction de ses émissions de CO2.

En conclusion
Avec un tourisme plus responsable, tout le monde est gagnant. Encore faut-il prendre son baton de pélerin et faire un travail d’évangélisation, d’éducation, envoyer des signaux positifs, inciter à prendre des avions propres, se renseigner sur les labels qui foisonnent, flécher vers certains produits verts… A ceux qui sont les plus préoccupés par le réchauffement climatique, pourquoi ne pas suggérer demain un voyage en train jusqu’en Norvège et le séjour au Swart Hotel. Avec à la clé un bilan carbone imbattable… Bref, il va falloir pouvoir mesurer l’empreinte carbone de son voyage, qualifier chaque destination en fonction des différents modes de transport pour s’y rendre, et tenir compte également de nombreux autres paramètres dont le mix énergétique du pays de destination. Bref, on a du pain sur la planche.

2 Commentaires

  1. bonjiour- un article très intéressant- un exposé sur le même thème et développé par Marc Dans a eu lieu en novembre 2022 et organisé par le Skål International Brussels.
    Cette conférence a connu un franc succès.
    Merci à Marc.

  2. et une autre conférence a eu lieu il y a quelques années sur le thème de  » flygskam  » développé par Patrick Anspach , journaliste connu dans le milieu de l’aviation.
    Conférence organisée par le Skål Internatrional Brussels
    email: skalbru@skynet.be

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