Les vrais perdants des élections américaines

On l’a vu avec le Brexit, on l’a vu avec l’élection de Donald Trump, la classe moyenne – et pas seulement populaire – se sent perdue dans ce monde globalisé dans lequel elle a le sentiment de ne plus avoir sa place. Résultat: elle offre son vote à des personnages charismatiques et vendeurs de lendemains qui (dé)chantent.

Le rejet de la classe dominante est d’autant plus brutal et sec que la classe moyenne refuse farouchement que l’élite politique et médiatique lui dicte son vote. À terme, le divorce entre nos dirigeants politiques et la classe moyenne est dramatique pour la démocratie. Le motif ? Natacha Polony du Figaro rappelle à juste titre que la classe moyenne a été le socle principal de nos démocraties occidentales dans sa lutte contre le communisme: « la classe moyenne a soutenu les différents gouvernements qui, en renouvelant ses élites, lui offrait l’espoir de voir ses enfants vivre mieux ». Faut-il le rappeler, la plupart des revendications sociales de la classe moyenne ont pu être arrachées aux dirigeants économiques et politiques en raison de la menace du communisme. D’où cette alliance de raison avec la classe dominante.

Le problème, c’est que cette belle mécanique sociale s’est grippée en 1989, date à laquelle le Mur de Berlin s’est effondré. Le capitalisme est alors apparu comme le seul système économique viable. Et comme toujours, quand un système devient monopolistique, ne serait-ce qu’en termes d’idéologie, il finit par être excessif.

Durant cette période de « la fin de l’histoire », les tenants de la mondialisation sans contraintes ont pu s’en donner à cœur joie, et la classe ouvrière est devenue une variable d’ajustement, une simple ligne dans un tableau Excel. Et si la mondialisation a d’abord tué à petit feu les cols bleus, la révolution numérique s’est chargée de tuer ensuite les cols blancs. Des doutes ? Pensez à ING, Axa, P&V…

Donc, oui, le discours libéral dominant a beau dire que la mondialisation a été globalement heureuse, car elle a sorti 700 millions de personnes de la pauvreté, la classe moyenne n’achète plus ce discours. Des doutes ? Pensez au débat vivifiant sur le CETA, rendu possible grâce à Paul Magnette et à son coup de génie politique.

Bien entendu, la mondialisation a eu des bienfaits et s’il y a enfin des classes moyennes dans les pays émergents, c’est évidemment grâce à la mondialisation. Le seul souci, c’est que ce jeu n’était pas un jeu à somme nulle, que cette élévation du niveau de vie au Sud et à l’Est s’est traduite par une baisse du pouvoir d’achat au Nord et à l’Ouest. Natacha Polony, qui n’est pas à strictement parler une furie de gauche, a raison d’écrire que la classe moyenne occidentale a compris que cette mondialisation s’est faite en partie sur son dos. Certains médias ont également joué leur rôle d’amplificateur de la mauvaise nouvelle, faisant croire involontairement à un afflux d’immigrés ou à des hordes de pauvres prêtes à en découdre avec nous et pour nous enlever nos derniers avantages sociaux.

« La vraie perdante des élections américaines n’est pas Hillary Clinton… »

L’ancien Premier ministre socialiste français Michel Rocard disait déjà à l’époque que la France n’avait pas vocation à accueillir toute la misère du monde. Aujourd’hui encore, les frontières ne sont pas aussi poreuses que l’imagine la classe moyenne, mais la télévision joue son rôle de caisse de résonance, de propagateur de la mauvaise nouvelle. L’écrivain Jean d’Ormesson ne dit pas autre chose: « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde sur notre territoire, mais nous l’accueillons dans notre cerveau, dans nos yeux. Les médias et particulièrement les chaînes d’information en continu sont devenus des agents du pessimisme ».

Aux États-Unis, c’est encore pire: 44% des Américains s’informent exclusivement via Facebook, autrement dit, par des « amis » qui pensent exactement comme eux. Et les 20% qui lisent encore la presse écrite sont dégoûtés par son parti pris. À raison, hélas: sur 200 quotidiens ou hebdomadaires qui ont pris position durant les élections américaines, 194 avaient soutenu Hillary Clinton ! En refusant de voter « politiquement correct », la classe moyenne a signifié que le 4e pouvoir n’avait désormais plus de pouvoir ! Quant aux autres citoyens américains, ils regardent des programmes débiles sur des chaînes de télévision inféodées au seul Dieu de la publicité.

Michel Serres résume avec humour cette situation: « Nous avons gagné sur nos ancêtres 3H37 d’espérance de vie par jour. Ce chiffre énorme correspond au temps moyen passé par les individus devant la télévision. En clair, leur gain d’espérance de vie, les gens le perdent à devenir… cons ! ». En conclusion: la vraie perdante dans cette élection américaine, ce n’est pas Hillary Clinton, mais la vérité.

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