Lettre ouverte du PDG de Misterfly à l’attention du Directeur Général de IATA

Cris de désespoir d’un pan entier d’une industrie que vous menez à l’échafaud

Monsieur de Juniac, Monsieur le Directeur Général, à la suite de la pandémie de COVID-19, la communauté des agents de voyages (plusieurs milliers en Europe) a interrogé votre organisation, IATA sur les aménagements des conditions de règlement, de remboursement des billets annulés et de production des informations financières annuelles.

A la lecture de la réponse de IATA diffusée le 17 mars 2020 aux agents de voyages « mise à jour relatives au plan de facturation et de règlement de l’IATA (BSP)», vous devez avoir fui notre planète tant cela est en total décalage avec la réalité.

Permettez-moi de commencer par vous donner des nouvelles sur ce qui se passe ici :

« Nous sommes en guerre » a déclaré Monsieur Emmanuel Macron.

« C’est le plus grand défi pour l’Allemagne depuis 1945 » a déclaré Madame Angela Merkel. « Nous sommes en guerre contre un ennemi invisible » a déclaré Monsieur Donald Trump.

Près de 40 pays ont interdit ou strictement restreint l’accès de nos compatriotes et aux européens à leur territoire, y compris nos plus proches alliés.

90% des avions composant la flotte de vos membres, sera à peu de chose près, cloué au sol d’ici cette fin de semaine. Des frontières, des aéroports, des terminaux sont fermés et ferment chaque jour.

Des dizaines de millions de personnes sont confinées chez elles. 900 millions d’enfants sont privés d’école, soit un enfant sur deux dans le monde!

Près de 25 millions d’emplois sont déjà menacés dans le monde selon les premières estimations de l’Organisation Internationale du Travail.

La présidente de Banque Centrale Européenne dit « s’attendre à une récession considérable en zone euro ».

Il faut rappeler qu’il y a une semaine encore, nous vivions sur un nuage d’aveuglement et de sérénité.

Le monde a beaucoup changé vous en conviendrez, en l’espace d’un très court instant.

Toutefois, chez IATA, « c’est business as usual », « circulez il n’y a rien à voir », malgré les mobilisations et les demandes d’efforts de tous par les gouvernements.

En d’autres circonstances, en d’autres temps, j’en aurais probablement souri, car on m’a appris à sourire de tout. Malheureusement, le temps « de guerre » que nous traversons n’incite pas à la dérision.

Il faut être sérieux ; l’heure est grave, extrêmement grave.

Si nous devons mourir (économiquement) et voir détruire tout un pan de notre industrie, mon entreprise et moi, nous mourrons avec toute l’énergie que nous portons en nous, avec la foi issue de la passion pour notre métier, avec toute la résistance d’un coureur d’endurance me concernant et avec toute la force que procure le sentiment d’injustice.

Si mon entreprise doit mourir, je ne tromperai pas la confiance de mes pairs, de mes clients et de mes collaborateurs. Je ne provoquerai jamais la mort (économique) délibérément. Que mes confrères et collaborateurs m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque.

Qu’en sera-t-il pour vous, Monsieur de Juniac ? Un jour viendra où vous devrez, comme tout un chacun, affronter le bilan de vos actions et des conséquences de celles-ci.

Je ne profère aucune menace envers quiconque, contrairement à ce que pratique votre organisation dans un langage bien à elle. La réponse de IATA aux demandes agents est un avertissement dans le langage de IATA, en particulier si la communauté des agents ne devait pas respecter ses obligations habituelles envers l’organisation.

Je vous prédis seulement ceci, Monsieur de Juniac : vous aurez des centaines d’entreprises, des dizaines de milliers d’emplois sur la conscience.

Afin de permettre aux communs des mortels de comprendre ce qui se passe dans notre industrie et les rapports de force entre IATA et ses agents, je vais commencer par planter le décor et par expliquer ce qu’est votre organisation.

IATA est un animal atypique, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est une organisation commerciale internationale et un lobby qui regroupe 293 compagnies aériennes, autorisées à agir de façon concertée entre elles.

IATA, qui représente les intérêts exclusifs de ses membres, CQFD, les 293 compagnies aériennes, a été qualifiée « d’organisation mafieuse » par Monsieur Akbar Al Baker, Président de Qatar Airways, pourtant l’un des membres les plus éminents de l’organisation, lors d’une rencontre avec des journalistes au salon du Bourget.

Son fonctionnement a été qualifié « d’immoral » par Laurent Magnien feu Président d’XL Airways, membre de IATA jusqu’à son dépôt de bilan.

Nous autres professionnels du tourisme, agences de voyages, tour-opérateurs, agences réceptives, agences évènementielles, organisateurs de voyages scolaires etc…, ne sommes que de simples et modestes agents « agréés ». C’est un privilège que vous nous accordez en contrepartie de l’engagement de prêter serment sur la « bible IATA» que sont les fameuses « Résolutions ».

Ces Résolutions, regroupées dans « le Manuel de l’Agent de Voyages », recensent l’ensemble des règles auxquelles nous devons nous plier. Il est utile de préciser, pour ceux qui ne le savent pas, que ces règles sont unilatéralement votées par les seuls membres de IATA, à savoir les compagnies aériennes.

IATA bénéficie des prérogatives d’un monopole. Vous disposez ainsi sur nous agents, d’un droit de vie ou de mort. C’est ce que l’on appelle communément une dictature (Régime dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire).

J’en appelle donc à la raison de votre organisation face à la situation dramatiquement historique que nous vivons. La situation touche l’ensemble des pans des industries des différents pays bien sûr et particulièrement celle des professionnels du voyage, en première ligne sur le front économique de cette guerre invisible.

C’est un cri d’alarme, du cœur, de rage, que je vous transmets au nom de toute cette industrie du tourisme. Je hurle de toutes mes forces, alors que nous sommes à l’heure du digital, car c’est un cri de détresse et de désespoir. Je le fais avec l’espoir que vous nous entendrez, nous, vos modestes serviteurs, « agents agréés » mandataires des compagnies aériennes, tant vous semblez éloigné des réalités en ces temps d’une gravité historique.

La communauté des agents de voyages vous a contacté directement et à travers ses instances représentatives professionnelles locales et européennes pour vous demander une attention particulière en ce qui concerne notamment le calendrier des envois de fonds. Rien de très exceptionnel vous en conviendrez dans les circonstances actuelles.

Je cite la réponse de votre organisation : « IATA reconnaît que notre industrie est confrontée à une période très agitée. IATA comprend que cela entrainera un débordement de remboursements à traiter. Dans certains cas, cela se traduira par des soldes en faveur des agents ».

Non, Monsieur de Juniac, ce n’est pas « une période agitée ». C’est une période dramatiquement historique.

Non, Monsieur de Juniac, cela n’entrainera pas « un débordement » de remboursements à traiter. C’est un tsunami auquel nous faison face.

Non, Monsieur de Juniac, cela « ne se traduira pas, dans certains cas, par des soldes en faveur des agents ». Ce sera dans tous les cas, pour l’ensemble des agents et simultanément et ce dès l’échéance du 31 mars.

Vous n’avez de cesse, en toutes circonstances, de nous rappeler, de nous brandir et de nous menacer avec les Résolutions IATA. Non, Monsieur de Juniac, sauf votre respect, les Résolutions IATA ne sont pas paroles d’évangiles !

Sauf votre respect toujours, je pense que vous nous prenez sincèrement pour des imbéciles ou pour des amateurs. IATA l’organisation que vous dirigez a en effet écrit (il fallait oser le faire) « les périodes de versement du BSP seront conservées. La prolongation des périodes, désavantagera les compagnies aériennes et les agents. Les remboursements seraient retardés si les délais de règlement devaient être prolongés. ».

C’est très aimable à vous de vous mettre à notre place et prétendre défendre nos intérêts.

Malheureusement pour nous, la réalité est toute autre. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que face au tsunami de demandes de remboursements, nous n’avons pas le temps matériel de traiter en temps réel ces remboursements via des procédures et des systèmes, qui requièrent une intervention pour chaque opération et nécessitent un travail technique d’une ampleur exceptionnelle. Qui plus est, nous effectuons ce travail pour nos clients, sans rémunération.

De plus, comme vous le savez, il existe deux procédures de traitement de ces fameux remboursements, à la discrétion des compagnies aériennes bien sûr :

a. Le traitement dit automatique effectué par l’agent

Ces traitements sont enregistrés à la date de saisie. Dans la situation actuelle, face à l’explosion des annulations-remboursements et au regard de la charge des interventions que doit faire l’agent, il est impossible de les traiter en temps réel. Ces remboursements viendront en déduction d’une prochaine facture. Comme nous ne vendons plus rien pour des raisons évidentes, nos factures seront négatives et l’on va se retrouver face à une situation totalement inédite, à savoir que ATA va devoir de l’argent, simultanément à l’ensemble des agents.

Quelles garanties nous apportez-vous que vous serez en mesure de nous rembourser ces sommes ? Vous exigez des garanties de la part des agents, la réciprocité est bien la moindre des choses et légitime au regard de votre fonctionnement opaque.

On comprend d’autant mieux votre empressement à ne surtout changer aucune règle et nous obliger de vous payer normalement les échéances quand on connaît la seconde procédure de remboursement … et c’est là que la trahison est caractérisée :

b. Le traitement par Demande d’Autorisation de Remboursement (DAR).

Cette procédure qui peut être adoptée sans préavis par les compagnies complexifie et rallonge considérablement les délais de traitement. Selon cette procédure, les remboursements ne sont plus passés «automatiquement » par l’agent mais doivent faire l’objet d’une Demande d’Autorisation de Remboursement (DAR) préalable. Le délai d’étude par la compagnie est de 1 à 3 mois sachant que la compagnie se réserve le droit de refuser le remboursement… Si et quand le remboursement est autorisé, il reste encore à l’agent le travail de traitement du remboursement.

Nous comprenons votre stratagème qui consiste à exiger le paiement selon le calendrier habituel, pour ensuite tout faire pour ne pas nous rembourser.

Le stratagème est déjà en place à l’image de ces compagnies, qui par hasard du calendrier, ont très récemment modifié leurs procédures de remboursement sans préavis, à l’image d’Air Europa ou encore de TAP Air Portugal. Nous avions déjà subi cette pratique que j’ose qualifier de voyou par Aigle Azur, quelques semaines avant de déposer le bilan. Nous ne sommes pas dupes, Monsieur de Juniac.

Quelle meilleure illustration de votre stratagème et du piège que vous nous tendez.

Je prends l’ensemble de mes confrères, l’ensemble de nos instances représentatives à l’échelle européenne, à témoin.

Alors que la Commission Européenne a rappelé aux compagnies aériennes qu’elles devaient rembourser les billets annulés en numéraire, vos membres, CQFD, les compagnies aériennes, lorsqu’elles acceptent le remboursement, émettent des avoirs non remboursables.

Comme nous avons pour obligation de payer les billets au moment de leur émission, vous captez la trésorerie que vous conservez ensuite par tous les subterfuges possibles.

Comble du comble, votre organisation, par la voie de Monsieur Rafael Schvartzman, vice-président régional pour l’Europe, dit « face à une catastrophe de trésorerie, de nombreuses compagnies aériennes ne peuvent offrir qu’un à-valoir en lieu et place de remboursements immédiats en espèces, pour les vols annulés. »

En somme, faites ce que je dis, pas ce que je fais !

Comme si cela n’était pas suffisant, votre organisation nous rappelle par ailleurs, « en cas de retard dans le versement d’un agent au BSP, l’administrateur de l’Agence exercera son autorité́ et, au cas par cas, tiendra compte de tout facteur exceptionnel, tout en garantissant les montants que l’agent lui doit ». En clair, nous devrons apporter de nouvelles garanties.

Ce que nous vivons est d’une violence extrême. Ce que vous nous imposez est tout aussi violent.

Par vos positions, qui sont à des années lumières de la réalité de ce qui se passe autour de nous, non seulement vous précipitez tout un pan de l’industrie du tourisme dans le précipice, mais vous ajoutez des pratiques honteuses et douteuses, du supplice et de l’agonie à notre mort prochaine.

Vous ne manquez pas de nous rappeler les résolutions et donc nos obligations en matière d’évaluations financières auxquelles nous sommes soumis chaque année par votre organisation. Comme votre organisation est prévoyante, les Résolutions prévoient « une prolongation pour soumettre la documentation requise pouvant aller jusqu’à 30 jours, selon les circonstances et à titre exceptionnel ». À défaut, vous « nous offrez la possibilité de fournir un dépôt en espèce ou d’une garantie bancaire ».

Même si cela peut paraître risible en ces temps où nos salariés sont confinés, pour la plupart en chômage technique, donc sans accès aux pièces nécessaires à l’élaboration des bilans, que nos commissaires aux comptes sont dans l’impossibilité d’effectuer leurs travaux d’audit et de certification des comptes, vos Résolutions ne souffrent aucune dérogation et il nous appartient de respecter les fameuses Résolutions.

« Circulez il n’y a rien à voir ».

Dieu soit loué, cette situation dramatiquement historique semble avoir au moins épargné votre organisation.

Si vous me demandiez mon humble avis, Monsieur le Directeur Général, je vous dirais que votre organisation est totalement dépassée. Elle est d’un autre âge et elle se comporte bien de la façon dont l’a qualifiée l’un de vos plus éminents membres.

Je comprends votre rôle de dirigeant de défendre les intérêts de votre corporation et ceux de vos adhérents. En revanche, je ne comprends pas que votre organisation soit à ce point en décalage avec la réalité et la situation d’urgence absolue dans laquelle notre monde a basculé. Je ne comprends pas plus le manque de solidarité et l’individualisme dont fait preuve cette corporation, alors que « nous sommes en guerre ».

Chacun doit apporter sa contribution à l’effort de guerre, agir avec loyauté et il ne saurait en être autrement pour IATA et les compagnies aériennes. Vos membres ne nous remboursent déjà plus les billets annulés, mais vous continuez à exiger le paiement, rubis sur l’ongle, des billets émis, y compris ceux que nous devons annuler immédiatement après émission !

Vos membres, CQFD, les compagnies aériennes, survivront pour la plupart à ce drame historique, à l’image d’Alitalia, nationalisée en un instant de raison par le gouvernement italien. L’Italie s’est affranchie des règles de l’Union Européenne sans que personne n’y trouve rien à redire, à commencer par la Commission Européenne. Les autres Etats membres en feront de même car les transporteurs (majeurs) ont des actifs stratégiques pour les états. Le Premier Ministre Edouard Philippe a assuré que pour Air France, « l’Etat était prêt à prendre ses responsabilités ».

Quid des agences de voyages et tour-opérateurs, pour la plupart constitués principalement d’autoentrepreneurs, de micro-PME ou de PME. Qui va s’intéresser à leur sort ?

Alors qu’une majorité de vos membres a été financée par des fonds publics en tout ou en partie, aucune de nos entreprises n’a jamais bénéficié de subsides publics. Nous avons nous-mêmes, en tant qu’entrepreneurs, financé nos entreprises et les milliers d’emplois que nous représentons, complété par des financements privés pour les plus chanceux ou pour ceux en capacité de le faire.

Les collaborateurs de l’ensemble de notre profession sont mobilisés avec un engagement et avec un dévouement véritablement admirable pour gérer des situations de détresse et de crise de leurs clients et des entreprises qui les emploient. Ils se font insulter en plus de subir une surcharge de travail inimaginable, impensable, alors que nos entreprises n’enregistrent plus aucune activité.

N’ajoutez pas à cette situation exceptionnelle, la surcharge émotionnelle, le désarroi, la peur du lendemain.

Je m’adresse à vous en votre qualité de dirigeant d’une corporation. Je vous implore, je vous en conjure, adaptez vos règles à la réalité du monde d’aujourd’hui et de ce qui se passe en ce moment et comportez-vous avec loyauté envers vos agents.

C’est le seul moyen pour sauver une industrie et ses dizaines de milliers d’emplois, qui ne pourront résister sans votre contribution à l’effort de guerre. Faites preuve de réalisme, de solidarité, adaptez vos règles avec l’urgence que dicte la situation et n’écrasez pas les petits à travers votre intransigeance, confortablement retranché derrière les Résolutions de votre organisation et le pouvoir de vie et de mort que cela vous donne sur nos entreprises.

Je vous remercie par avance de votre bienveillante attention et je vous prie de croire, Monsieur le Directeur Général, à l’expression de ma considération distinguée et à mon dévouement pour cette industrie que j’aime profondément.

Nicolas BRUMELOT

Président et co-fondateur MisterFly

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