Mes souvenirs de Voyages: l’Afghanistan au temps du Roi

Mireille Rosenberger est la fondatrice du tour opérateur, voyagiste Ikhar puis longtemps la Directrice de production de Asie Tours et Akiou. Passionnée de tourisme et de voyages, désormais retraitée, elle nous fait partager quelques uns de ses plus beaux souvenirs. Aujourd’hui, c’est l’Afghanistan qu’elle nous fait découvrir, une Afghanistan passionnante, point de passage important sur la célèbre route de la soie.

Au commencement début des seventies

Nous étions en avril 1972. J’avais 25 ans. Je venais de rentrer d’Algérie où j’avais occupé un poste de chargée d’études au Ministère du Tourisme Algérien pendant 4 ans. Dès mon retour à Paris j’avais réussi à décrocher un emploi chez le Tour Opérateur Asie Tours créé par deux jeunes et dynamiques dirigeants qui avaient fait de l’Afghanistan leur destination phare au point d’éditer une brochure spéciale sur la destination en complément de leur brochure générale.

Je réussi très vite à les convaincre que pour mieux conseiller la clientèle, il me fallait connaitre ! 6 mois après je m’envolais donc pour Kaboul pour une quinzaine de jours de congés, sans solde toutefois, n’ayant pas travaillé un an comme c’était la règle à l’époque.

Très en vogue dans les années 60 et bien avant que les routards ne lui préfèrent Katmandou ou se lassent de Goa, le royaume d’Afghanistan était un mythe qui faisait rêver et influençait même la mode vestimentaire des sixties au travers de manteaux en peau de mouton retournée et brodée (poustines ) de longues robes Kouchi en patchwork de coton aux plastrons brodés de perles de verres, de bottes en peau brodées, de lourds bracelets et colliers en argent incrustés d’agates polies et de parfums entêtants aux essences de patchouli.

 » L’Homme qui voulut être Roi » de Kipling, « les Cavaliers » de Kessel, ainsi que  » Les mariés du bout du monde » de Brigitte de Saint Preux avaient excité mon imaginaire et mon désir de m’envoler vers les grandes steppes d’Asie Centrale.

Kaboul d’en haut

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En octobre 1972 me voici donc à Kaboul la ville perchée à 1 800 mètres d’altitude , sertie par la chaîne des montagnes de l’Hindou Kusch dont les plus hauts sommets culminent à plus de 7000 mètres, et dont le passé historique nous rappelle qu’elle fit partie du brillant royaume Perse Achéménide sous Darius au 6ème siècle avant notre ère, qu’elle vit passer Alexandre le Grand, et qui abrite dans un jardin de roses, le tombeau de Bâbur le premier empereur de la dynastie des Grands Moghols ( 1483-1530) qui connut son apogée et sa gloire pendant 3 siècles en Inde.

Mais ce qui fait la personnalité de Kaboul se trouve au cœur de la vieille ville où dans un enchevêtrement de ruelles poussiéreuses partant de la grande artère Jodi Maiwan se succèdent une multitude de bazars.

Zouks et bazars à gogo

Les bazars d’Asie centrale que ce soit ceux d’Ispahan, de Samarkand, de Boukhara, de Peshawar ou celui de Kaboul sont époustouflants. Je n’ai souvenir d’aucun lieu au monde avec autant d’échoppes, d’étals, de vendeurs ambulants, d’ateliers de fabrication et de réparation d’objets en tout genre.

Chaque corporation possède son quartier ; il y a le bazar aux légumes, celui des fruits secs, du riz, des épices, du pain, de la viande, des fruits où les étales croulent sous des avalanches de grenades, de pastèques, d’amandes, d’abricots, de figues, de raisins, puis les bazars des artisans, et des marchands de lourds bijoux d’argent turkmènes où l’on croise les femmes recouvertes de tchadris de couleurs vives comme si elles voulaient prouver leur coquetterie malgré leur tenue de fantôme.

Le Tchadri est un grand tchador plissé partant de la tête tombant jusqu’au pieds et dissimulant le haut du visage sous une sorte de grillage fait de broderies, Plus loin vient le bazar des vêtements traditionnels, des gilets en peau d’astrakan, des tapis, des poteries, des ustensiles de cuisine, des luthiers…

Je me souviens d’un bazar qui avait attiré mon attention celui des oiseaux ; on le repère aux petites cages de bois suspendues et prêtes à accueillir les cailles ou perdrix, qui seront vendues pour les combats..

Les combats d’animaux qui font l’objet de nombreux paris auprès des villageois sont très populaires. Bien que souvent cruels, ils ne sont heureusement jamais mortels.

Vive le Roi

Mais de loin le sport le plus emblématique du pays est le Bouzkachi. ! J’avais fait coïncider mon voyage avec les dates de l’anniversaire du Roi qui donnait lieu chaque année le 15 octobre à un grand Bouzkachi royal se déroulant à une vingtaine de kilomètres de Kaboul sur l’immense terrain Bagrami où une grande tribune était dressée avec à son sommet le luxueux chapiteau réservé au roi, à sa famille et à ses hôtes de prestige.

En ce 15 Octobre 1972, le Roi Zaher Shah qui cumulait 40 années de règne avait invité la Princesse Anne d’Angleterre et quelques membres de sa suite installés près de lui.

De très nombreux ambassadeurs et diplomates étrangers, des ministres Afghans, des hauts fonctionnaires, occupaient la tribune royale tandis que je me trouvais juste en dessous dans la grande tribune qui accueillait les journalistes, les reporters, les touristes et beaucoup de routards européens..

Du rythme, du rythme …

La foule Afghane composée uniquement d’hommes était assise au sol devant la tribune derrière un cordon de sécurité. Au bout du terrain une centaine de cavaliers, les Tchopendoz attendaient de rentrer en piste. Plusieurs ambulances prêtes à intervenir laissaient entrevoir la violence du jeu.

Le Bouzkachi, (littéralement « traîne chèvre », remonte au 13ème siècle, quand les hordes du conquérant mongol Gengis Khan entraînaient leurs guerriers en n’hésitant pas, selon la légende à le pratiquer avec la dépouille de leur ennemi.

Ce jeu viril et brutal consiste à se saisir d’un bouc ou d’un veau décapité, vidé et bourré de sable placé au centre d’un cercle, à s’échapper de la mêlée malgré les coups de cravaches souvent terminés de billes de plomb des Tchpendoz de l’équipe adverse puis de s’élancer au grand galop au bout du terrain (entre 2 et 5 km voire bien d’avantage quand le jeu se déroule dans la steppe) en traînant la dépouille qui pèse entre 60 kilos et 80 kilos ou tenu des deux mains contre le flanc du cheval, la cravache serrée entre le dents, penché en équilibre parfois tenu par un seul pied dans l’étrier, et de venir replacer le trophée dans le cercle de craie dessiné au sol appelé cercle de justice. Généralement les équipes sont composées de 10 Tchopendoz mais pour le bouzkachi royal près de cent cavaliers s’élancent dans la mêlée.

L’équipe des vainqueurs vient ensuite saluer le Roi et chacun de ses joueurs reçoit en récompense un Chapan, Ce long et précieux manteau en coton et soie aux rayures savamment tissées.

L’ambiance du Bouzkachi est aussi excitante que bruyante ; la plupart des ethnies du pays s’y croisent : Tadjiks, Belouches, Hazaras, Ouzbecks, Nouristanis, Turkmènes, Pachtous.

Je voyageais avec mon ami, et un chauffeur-guide et jamais je n’ai ressenti une quelconque hostilité du fait que j’étais une femme. A cette époque l’Afghanistan était une destination très sûre et les voyageurs étrangers y étaient partout merveilleusement reçus.

A Band I Amir, je découvris l’un des plus beaux paysages de toute l’Asie Centrale : Situé à 300 kilomètres de Kaboul et 2900 mètres d’altitude dans un paysage grandiose de falaises de grès ocre, un chapelet de lacs d’un bleu semblable au lapis lazuli se déversent les uns dans les autres et semblent pour certains suspendus dans des immenses cuvettes formées par le calcaire. L’un des lacs alimentait à l’époque des moulins que des nomades utilisaient l’été pour moudre le blé.

Puis en empruntant une piste de 80 km on arrivait dans la verdoyante haute vallée de Bamiyan traversée par une rivière bordée de peupliers et adossée à une imposante falaise flanquée de deux grandes sculptures de bouddha en haut relief, hautes de 55 et de 38 mètres. Tout autour des statues plus d’un millier de grottes et de cavités dont certaines ornées de fresques témoignaient que Bamiyan fût une importante étape sur la Route de la Soie et que plus de 2000 moines s’y étaient établi du 2ème au 7ème siècle de notre ère.

Des merveilles à contempler

J’aurais voulu vous parler des splendides mosquées de Mazar I Sharif et d’Herat, dont les revêtements de céramiques vernissées aux motifs géométriques m’ont évoqué les tableaux de Vasarely, et de nombreux autres lieux merveilleux que j’ai visité, en particulier de ces villages que l’on traversait et où nous étions toujours bien reçus, de Poul -I- Koumri, ou encore de Koulm et de ce petit bazar où ma mémoire, près de 50 ans plus tard, se souvient du craquement des bottes de cuir fraîchement fabriquées qui séchaient au soleil ; et de ses villages où l’on s’arrêtait pour acheter les délicieux raisins dorés, longs, sucrés, croquants et sans pépin… les meilleurs du monde !

J’aimais m’arrêter dans les petites maisons de thé, les Tchai Khane pour m’asseoir sur un tapis déplié au sol et boire un verre de thé noir tiré du samovar et servi dans des petites théières de porcelaines fleuries tandis que des hommes sirotaient leur pipes à eau.

J’aimerais vous parler de ces hautes vallées bordées de vergers où le temps semblait s’être arrêté celle d’Adjar où pour une vingtaine de dollars on pouvait passer la nuit au bord d’un lac dans la résidence de chasse du roi Zaher Shah qui venait y chasser l’Ibex.

J’aimerais que l’on me croit lorsque j’affirme que la vie était douce en Afghanistan en ce temps-là. Avant l’invasion de l’URSS, avant la guerre civile, avant les Talibans, avant les bombes et les attentats…Hélas tout avait en fait commencé 4 jours après la fin de mon deuxième voyage :

En effet puisque je connaissais dorénavant la destination mes patrons me permirent de repartir l’année suivante et d’accompagner le prestigieux voyage du Maxim’s Business Club, le club très fermé du célèbre restaurant parisien Maxim’s du 29 juin au 13 juillet 1973.

Un programme exceptionnel pour des participants prestigieux avec plein de « surprises » que les organisateurs de voyages pour Incentives et pour V.I.Ps adorent mais que pour ma part il m’arrive de bouder comme ce fut le cas lorsque le chef du groupe fit tirer un feu d’artifice devant les grands Bouddhas de Bamiyan.(feu d’artifice que nous avions transporté sur la galerie du bus en plein soleil au risque de nous faire sauter tous !!!)

Certes nous étions logés dans les yourtes qui furent installées deux ans plus tôt pour le tournage du film « les Cavaliers » de Jean Frankenheimer avec Omar Sharif et Jack Palance, mais je respecte trop l’esprit de certains lieux pour le dénaturer avec des spectacles en tel décalage.

Même si je savais que ces magnifiques Hauts reliefs, chef-d’œuvre de l’art gréco-bouddhique avaient déjà subi d’importantes dégradations et avaient été privés des masques d’or qui recouvraient leurs visages par Gengis Khan en 1222 j’étais loin d’imaginer que ces grands bouddhas seraient totalement détruits par les explosifs des talibans en mars 2001.

De retour à Paris le 13 juillet 1973 nous apprîmes que 4 jours après, soit le 17 juillet, le roi était renversé par son cousin Mohamed Daoud Khan qui proclamât la république laquelle se termina en 1978 par une révolution communiste, débouchant sur l’invasion par l’URSS et la guerre civile qui ravageât le pays. Je réalisais donc que c’était au dernier Bouzkachi royal que j’eus la chance d’assister lors de mon premier voyage en Afghanistan en octobre 1972….

Je dédicace ce récit à Philippe d’André et Laurent Laffaille mes deux patrons d’Asie Tours qui ont depuis peu quitté ce monde et auprès desquels j’ai tant appris au cours des dix premières années de ma carrière dans le monde du Voyage.

Texte et photos : Mireille Rosenberger





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