Décarbonation de l’aérien: SAF qui peut!

Va-t-on devoir voyager moins en avion dans l’avenir ? Augustin de Romanet, PDG du Groupe ADP, dans une interview publiée la semaine dernière dans le quotidien économique français Les Echos, a “appelé à la responsabilité des passagers» pour qu’ils «adoptent des comportements raisonnables» et ne multiplient pas les vols long-courriers.

Le patron du premier gestionnaire de plateformes aéroportuaires dans le monde (*) verrait bien les gouvernements, si les consommateurs ne changent pas leurs comportements, adopter des mesures coercitives et imposer un quota de vols par personne sur les destinations lointaines. Surtout lorsqu’on sait que ceux qui voyagent loin sont souvent les plus aisés, et que la mesure pourait bien rencontrer une forte adhésion dans l’opinion publique.

Le transport aérien est en effet confronté à un écueil : les solutions pour décarbonner sont de plus en plus concrêtes, et s’appuient sur deux piliers : la technologie d’une part, les bio-carburants et les carburants synthétiques de l’autre. Mais leurs premiers effets ne sont pas attendus avant 2035, et se feront sentir de manière très progressive. La période actuelle est donc celle de tous les dangers pour le secteur du transport aérien. Et elle pourrait laisser libre cours, dans les quinze à vingt prochaines années, à de nombreuses surenchères chez les opposants les plus déterminés à l’avion. D’autant que les prévisions de trafic ne semblent pas valider la trajectoire fixée par le secteur, soit la neutralité carbone à l’horizon 2050. Au contraire ! Le trafic aérien mondial devrait en effet doubler d’ici 20 ans, selon les prévisions de l’IATA. Cette croissance devrait concerner essentiellement les pays émergeants et en développement.

Au regard de ces prévisions, on peut comprendre les inquiétudes. Olivier Andriès, le directeur général de Safran, l’un des leaders de l’industrie aéronautique (moteurs d’avions, intérieurs d’avions dont des sièges, etc), interviewé dans le cadre de l’émission de France Inter On n’arrête pas l’éco, se voulait rassurant ce samedi : “Nous revenons peu à peu au trafic de 2019. Et on va retrouver ce niveau en 2023 pour le moyen-courrier et 2024 ou 2025 pour le long-courrier. Mais le point important c’est que nous aurons d’ici trois ans, par rapport à 2019, 50% de la flotte remplacée par des avions de nouvelle génération. Et les émissions de gaz carbonique produites par le trafic aérien en 2025 seront en niveau absolu inférieures à celles de 2019”.

“’Mais ce n’est pas suffisant, a poursuivi Olivier Andriès. Nous avons donc décidé de préparer pour 2035 un moteur du futur dit “ultra-frugal” qui permettra de réduire de 20% la consommation par rapport aux moteurs proposés aujourd’hui. Si l’on ajoute aux efforts des motoristes ceux des avionneurs pour rendre leurs avions plus aérodynamiques et moins lourds, nous serons en mesure de proposer ensemble des appareils qui consommeront 30% de kérosène en moins à l’horizon 2035, par rapport aux avions actuels”.

A plus long terme, l’avion du futur passe par des nouveaux modes de propulsion. L’avion alimenté à l’hydrogène est une belle idée car il n’émet plus de CO2 – Airbus travaille notamment sur un appareil régional pour 2035 – mais conserver ce gaz stocké sous sa forme liquide à – 253° n’est pas une mince affaire, d’autant qu’il est moins lourd que le kérosène mais nécessite un volume de stockage supérieur. Une option peu probable pour les long-courriers (20% des vols mais 50% des émissions de CO2), voire les moyen-courriers. Idem pour les avions “électriques” confrontés – entre autres – au poids des batteries et à leur autonomie, un mode de propulsion qui devrait là encore convenir pour des avions effectuant de courtes distances.

Ces innovations technologiques ne suffisent donc pas à assurer la transition carbone. Le SAF (“Sustainable Aviation Fuel”) est l’autre solution dont on parle désormais tous les jours : les filières sont en effet en cours de constitution. Il devrait compter pour 65% de la réduction du bilan carbone de l’aviation civile en 2050. Mais sa montée en puissance va être très progressive. Pour rappel, le carburant durable ne représentait en 2021 que 0,04% de la demande globale de fuel aérien. L’Europe, après deux ans de négociation, a bouclé en juin dernier le projet « ReFuelEU Aviation » avec des objectifs précis : les fournisseurs de carburant d’aviation, au départ de tous les aéroports européens de plus d’un million de passagers, devront incorporer au jetfuel un minimum de 2% de carburants durables à partir de début 2025, 5% début 2030 (dont 0,7% de carburant de synthèse), 20% en 2035 (dont 5% de carburants de synthèse), 32% en 2040, 38 % en 2045 et 63% en 2050 (dont 28% de carburants de synthèse).

On rappellera également que le SAF de première génération, des biocarburants conventionnels élaborés à partir d’une matière première en concurrence avec l’alimentaire, est aujourd’hui plafonnée à 7% de l’énergie contenue dans les carburants. Le SAF de seconde génération est principalement issu de résidus agricoles et sylvicoles, d’algues, de biomasse, d’huile de cuisson usagée, de carbone recyclable, ainsi que de carburants de synthèse (produits à base d’hydrogène vert et de capture de CO2).

Le hic : la demande de bio-carburant va être très élevée dans les prochaines décennies, avec un risque de spéculation, et la crainte d’un manque de matières premières/déchets pour le produire. Il faudra dès lors assurer le complément avec le carburant de synthèse. On parle aussi aujourd’hui de carburant fabriqué à partir de méthane. Et les ingénieurs ne cessent de phosphorer sur d’autres solutions. Avis donc aux déclinistes et autres collapsologues : le pire n’est pas encore sûr, nous avons encore une petite chance de nous en sortir !

(*) Directement ou via TAV Airports et GMR Airports, soit 29 aéroports dont CDG, Orly, Santiago du Chili, Zagreb, Liège…

> Lire aussi : Carburant durable pour l’aviation : bientôt la foire d’empoigne pour en avoir ?

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