La Thuringe, un Land allemand méconnu (1/2)

Petit territoire – la moitié de la Belgique en superficie – au centre même de l’Allemagne, la Thuringe a pourtant tout pour séduire : une forêt étagée sur une suite de collines, une campagne parsemée de petits villages resserrés autour d’une église, des cités médiévales, des châteaux, des cathédrales et une flopée d’hommes illustres, de quoi inviter les mordus d’histoire, d’architecture, de musique mais aussi de randonnées.

Juillet 2020, première escapade hors de nos frontières depuis que la Covid-19 a bouleversé nos vies ! A seulement 500 kilomètres de chez nous, ce road-trip a une saveur unique. Ouvrir le regard vers d’autres paysages, espérer de multiples découvertes, et retrouver le plaisir de prendre la route et de vagabonder.

L’Eichsfeld, le cœur vert de la Thuringe

Au-delà de Kassel, l’autoroute trace son chemin au cœur d’un pays de forêts et de vastes champs de céréales puis emprunte le tunnel Heidkopf qui passe juste sous la frontière entre les Lands de Basse-Saxe et de Thuringe, ce qui lui a valu le surnom de « tunnel de l’unité allemande » puisque jadis ces deux régions étaient séparées par le rideau de fer.

On quitte alors l’autoroute pour suivre notre itinéraire qui se déroule presque au rythme d’une promenade dans un paysage de campagne ondulante, de collines douces tendues de champs cultivés aux reflets dorés qui s’arrêtent au pied de cimes boisées de feuillus d’un vert sombre. Au creux des vallées surgissent des petits villages coquets dont les maisons aux toits de tuiles rouges se resserrent autour d’une église au clocher recouvert d’ardoises.

Rien de tel que la balade jusqu’au sommet de Sonnestein, à quelque 500 mètres d’altitude, pour s’offrir une vue spectaculaire sur l’Eichsfeld. Le site est curieusement surmonté d’une haute croix métallique illuminée la nuit juste en face de la statue d’un géant folklorique qui se serait endormi ici et au réveil aurait vidé ses bottes du sable qu’elles contenaient au pied du Sonnestein, formant ainsi une colline conique parfaite, un des anciens marqueurs frontaliers entre la Basse-Saxe et la Thuringe.

En vidant ses bottes remplies de sable, le géant folklorique de Sonnestein a dessiné une colline conique parfaite, un des anciens marqueurs frontaliers entre la Basse-Saxe et la Thuringe.

On oublie trop souvent que le rideau de fer, cette ligne de démarcation a divisé le pays au lendemain de la Seconde Guerre Mondial depuis la mer Baltique jusqu’au sud de l’Allemagne, au niveau de l’ex Yougoslavie, sur une longueur de 1393 km.

Après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, il a été physiquement démantelé un peu partout mais la Thuringe a finalement choisi de préserver ce témoignage unique de ce qui fut une barrière impénétrable qui a douloureusement séparé de nombreux proches dans la région de l’Eichsfeld.

Cette ancienne bande frontalière interallemande mesurait 10m de large avec une zone interdite d’accès de 5km où il n’était pas rare de lâcher des molosses. Elle était longée de panneaux de clôture de 3m de haut dont la largeur de 5mm des croisillons en biseau était calculée pour ne pas permettre aux doigts nus de s’y agripper.

Même des mines antipersonnel qui se déclenchaient dès que l’on touchait les barrières ont été installées. Autant de « détails » qui sont exposés dans le musée de la zone frontalière d’Eichsfeld à Teistungen.

Aujourd’hui le ruban vert, à savoir cette ancienne bande de la mort comme elle était appelée par la population, est accessible à la promenade sur 4,8km environ dont un tiers revêtu de dalles de béton perforées a préservé la clôture d’origine, d’anciennes tours d’observation et même une installation de fermeture de la frontière telle qu’elle a fonctionné.

Balade le long du ruban vert longé par d’anciennes clôtures près de Teistungen.

Le miracle de cette ceinture verte est qu’elle est devenue un refuge pour la flore et la faune qui s’y sont développées sans entraves depuis le siècle dernier abritant ainsi un espace naturel incomparable qui attire de nombreux randonneurs.

L’Eichsfeld est aussi un paradis pour les amateurs de trails et de VTT qui trouvent de nombreuses pistes à leur disposition tout comme des sites perchés qui ne peuvent s’atteindre qu’à la force des mollets, à pied ou sur 2 roues : les ruines du château médiéval de Hanstein romantiques à souhait quand on se prend à contempler le paysage depuis les fenêtres ouvertes à tous les vents qui offrent une perspective imprenable sur la vallée de la Werra ou encore le monastère franciscain établi sur les hauteurs de la Hüffensberg avec d’un côté une vue sur l’Ouest et de l’autre sur l’Est mais toujours en Eichsfeld.

Et pourquoi ne pas tenter l’expérience du vélorail qui parcourt une partie de l’ancien chemin de fer construit à la guerre franco-prussienne de 1870 afin de transporter plus facilement les canons allemands vers la ligne de combat aux alentours de Metz.

Le château de Friedenstein de Gotha cache derrière cette monumentale façade toute en symétrie un extraordinaire univers baroque.

Une escapade insolite qui a le mérite de passer par un viaduc qui permet de découvrir la petite ville de Döringsdorf qui aligne le long de la rivière ses maisons colorées ou à colombages prolongées par des jardinets fleuris non loin d’une église qui semble veiller sur ses paroissiens.

Terre de châteaux

La Thuringe c’est un peu un voyage vers les racines de notre royauté car la ville de Gotha, déjà connue pour son almanach, à savoir un annuaire des maisons royales et des familles souveraines ou l’ayant été ainsi que de la haute noblesse de l’Europe, publié depuis 1788 jusqu’en 1944, elle était aussi le lieu de résidence du duché de Saxe-Cobourg et Gotha dont le premier roi des Belges, Léopold Ier, est un descendant.

L’imposant château de Friedenstein édifié au 17ème siècle domine le Musée ducal érigé deux siècles plus tard par le Duc Ernst II de Saxe-Cobourg et Gotha. Autant le premier dont la façade est dépouillée et symétrique abrite pourtant un extraordinaire décor baroque voire même rococo avec une profusion de plafonds en stuc, de sols en marqueterie sans oublier un mobilier précieux et une riche collection d’œuvres d’art, autant le second, majestueux, s’est inspiré des palais italiens de la Renaissance, formant ainsi un contrepoint architectural à l’ensemble du château de Friedestein.

L’aménagement de la façade du Musée Ducal de Gotha édifié au 19ème siècle juste en face du château de Friedenstein est largement inspiré du Château de Versailles.

Voulu par le Duc pour être librement accessible au grand public, il abrite des œuvres d’art de l’antiquité jusqu’à l’époque moderne avec entre autres des pièces égyptiennes, des sculptures réalistes de plâtre et de bronze de Jean-Antoine Houdon ou encore des porcelaines de Meissen et d’étonnantes maquettes de sites célèbres en liège de Antonio Chichi qui se vendaient à l’époque comme des souvenirs de voyage légers à transporter.

Le château de Friedestein -construit en U sur une longueur de 140 mètres avec deux ailes de 110 mètres- permet de découvrir l’impressionnant arbre généalogique de la Maison de Saxe-Cobourg et Gotha dont plusieurs rejetons ont régné peu ou prou dans différents pays européens mais aussi au Brésil et au Mexique.

On retiendra la branche toujours régnante en Belgique à travers les descendants de Léopold Ier mais aussi au Royaume-Uni puisque le Prince Albert, second fils d’Ernest Ier, a épousé la reine Victoria en 1840.

La vaste salle de bal du château de Friedenstein possède un imposant plafond baroque encadré de lourdes guirlandes de fleurs et de fruits sans oublier une alcôve entièrement consacrée à une luxueuse collection de porcelaines de Meissen.

Toutefois depuis que le prince Charles-Edouard, petit-fils préféré disait-on de la reine Victoria, est devenu persona non grata en affichant sa sympathie manifeste pour l’Allemagne dès la première guerre mondiale et par la suite pour Hitler, le roi George V a choisi de renoncer au nom d’origine allemande de Saxe-Cobourg et Gotha pour adopter celui de Windsor du nom du domaine où vit la famille royale.

Dans un tout autre style, le château-fort de la Wartburg édifié sur un pic abrupt surplombe la ville d’Eisenach qui a vu naître Jean-Sébastien Bach et accueilli Martin Luther durant sa scolarité. Entre les murs de la forteresse, 1.000 ans d’histoire allemande se reflètent avec grandeur et c’est à ce titre qu’elle a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 1999.

En 1521 Martin Luther a vécu quelques mois au château de la Wartburg où il a traduit le Nouveau Testament en allemand dans cette pièce, sur ce bureau exigu.

Fondée au début du 11ème siècle, la résidence des landgraves de Thuringe a réuni durant quatre siècles les plus illustres poètes célébrés dans le fameux opéra de Wagner, Tannhäuser dont le titre complet est « Tannhäuser et le tournoi des chanteurs de la Wartburg ». Le château a également abrité Elisabeth de Hongrie mariée à 14 ans au landgrave de Thuringe, Louis dit le Charitable.

Un couple aimant mais à la mort de son époux au moment où il s’embarquait pour une croisade, elle choisit de consacrer sa vie aux pauvres et aux lépreux en leur faisant construire trois hôpitaux. Morte à l’âge de 24 ans en 1231, elle sera canonisée 4 ans plus tard et est devenue la patronne des hôpitaux.

Depuis sa restauration, on découvre de jolis jardins dans les cours intérieures du château de la Wartburg.

La forteresse a encore accueilli Martin Luther quand il a été mis au ban du Saint Empire. Il y vécut près d’un an sous un autre nom et y traduisit en allemand le Nouveau Testament. La pièce qui lui servit de bureau de travail est encore aujourd’hui la destination de visite de nombreux protestants.

Solide forteresse, somptueuse résidence, auberge, lieu de sécurité et de recueillement, la Wartburg a donc été le théâtre de nombreux moments clés de l’histoire allemande. Abandonné au 15ème siècle, le château a été restauré dès le 19ème en mettant en valeur sa collection artistique grâce entre autres aux recommandations du célèbre Goethe.

Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux

Suite du road-trip en Thuringe demain


Infos sur le Land : www.thueringen-entdecken.de/; www.visit-thuringia.com/

Infos sur l’Eichsfeld : www.eichsfeld.de/; www.grenzlandmuseum.de

Infos sur Eisenach : www.eisenach.info/; la maison de Bach où toutes les heures des musiciens jouent l’une de ses œuvres sur 4 instruments de musique baroque https://bachhaus-eisenach.de/en; le château de la Wartburg www.wartburg.de/fr/

Y aller : La Thuringe est proche de chez nous, à peine 450 km, et une voiture est sans aucun doute la manière la plus confortable pour découvrir l’Eichsfeld. Dans les villes qui sont de taille humaine, il est aisé de les découvrir à pied. Les hôtels que nous avons testés proposent des parkings. A Teistungen, un centre dédié au sport très confortable avec un restaurant www.victors.de/en/hotels/teistungenburg/, à Eisenach, un petit hôtel à 2 pas du centre de la ville qui abrite outre la maison de Bach, la maison de Luther https://www.eisenacherhof.de/en qui propose une table étonnante qui plonge le client dans la gastronomie médiévale, toute une expérience.

Gastronomie : La Thuringe est le pays de la saucisse à griller, un délice depuis 600 ans, parfumée entre autres à la marjolaine, au cumin et à l’ail et impérativement à griller sur du charbon de bois et à déguster avec de la moutarde de Thuringe. Outre ce standard nous avons apprécié la table du Klausenhof dans l’Eichsfeld, une cuisine nouvelle parfumée aux herbes, une découverte gastronomique dans un environnement historique www.klausenhof.de.

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